Les « responsables du bonheur » sont de plus en plus nombreux au sein des entreprises en France. Ils étaient 150, fin 2017, à s’afficher en tant que tels sur LinkedIn (source AFP) et leur nombre n’a fait que croitre depuis… Alors, nouveau métier à la mode, poudre aux yeux pour attirer des talents, ou véritable virage sociétal qui vise à remettre l’humain au cœur de l’entreprise ?
Le Happyness Managment consiste à insuffler une dose de bonheur dans l’entreprise afin de créer les conditions de bien être indispensables à la performance professionnelle. Cette fonction revient au Chief Happiness Officer (CHO).
Le concept nous arrive – encore ! – de la Silicon Valley où la fonction a vu le jour il y a une quinzaine d’années sous l’impulsion de Chade-Meng Tan, un ingénieur américain, salarié de Google qui a inventé la fonction de « Jolly Good Fellow » (super bon camarade). Rebaptisé « responsable du bonheur », le métier fait son apparition en France entre 2015 et 2016. Il ne dispose pas encore à ce jour, de cursus de formation attitré même si une « fiche métier » a vu le jour et que quelques formations privées apparaissent çà et là. Les employeurs recrutent surtout en interne et recherchent avant tout « une personnalité », même si les meilleurs profils émanent le plus souvent des ressources humaines, de la communication ou de l'évènementiel.
Précisément parce que la profession n’est pas encore normée, la mission est à géométrie variable et est complètement dépendante des contours que lui donne l’entreprise… Et des moyens qu’elle accepte de mettre à disposition de son CHO !
Ainsi, Clara, trentenaire joviale et dynamique, qui fait office de « Madame Bonheur » dans une entreprise de services, arpente les bureaux de bon matin pour convier ses collègues à un petit déjeuner détox (et bio, bien sûr !). Elle en profite pour annoncer l’atelier créatif qu’elle mettra en place la semaine prochaine, et rappeler à tous l’after work de ce jeudi soir… Son objectif : améliorer les relations, créer du lien, instituer une culture positive d’entreprise. Cela passe par des activités ludiques et des moments conviviaux autour du baby-foot et de la table de ping pong mais pas que… Dans certains cas, il incombe au CHO des missions qui relèvent plus de la RH que de l’évènementiel, comme s’improviser médiateur autour de la machine à café, ou s’appliquer à sonder les aspirations profondes d’un collaborateur (télétravail, mobilité, formations…).
Alors que le bien-être et la qualité de vie au travail sont des questions de plus en plus prégnantes au sein des entreprises françaises, cette recherche de bonheur au travail semble être totalement dans l’ère du temps… Si la finalité recherchée est véritablement de créer un contexte professionnel qui soit de nature à prévenir les risques psycho-sociaux, le stress, voire le burn out. Dans ce cas, la fonction du CHO n’est souvent qu’une composante d’une politique globale RSE (responsabilité sociale des entreprises) ambitieuse et engagée. Ainsi, l’enquête réalisée par Meilleures-entreprises.com qui mesure le taux de salariés « happy at work » a vu basculer la courbe vers une majorité de salariés heureux ; 52 % se déclarant satisfaits de leurs conditions de travail, contre 45,4% en 2015 et 2016. Au palmarès des entreprises où l’on vient travailler en sifflotant, on trouve ainsi UBISOFT, DANONE, DECATHLON ou NESTLE… Pour ne citer qu’eux.
Mais il reste cependant beaucoup d’entreprises moins engagées, qui songent simplement à faire rimer QVT (qualité de vie au travail) avec productivité ! Le Happyness Managment peut alors avoir des raisons d’être plus terre à terre : insuffler du plaisir au travail tout simplement pour motiver, impliquer les collaborateurs dans la seule perspective, in fine, d’augmenter leur efficacité.
C’est peut-être au nom de ce doute qui s’est emparé des salariés français - véritable progrès social, simple folklore ou manœuvre pour augmenter la productivité ? – que quelques voix dissonantes se font entendre en France sur le sujet. Et même si le nombre de CHO augmente dans l’hexagone, certains d’entre eux reconnaissent se heurter à de la circonspection, voire à l’ironie ou du sarcasme. Les effets pervers du système étaient d’ailleurs décrits dès 2017 par Thibaut Bardon, responsable de la recherche en management chez Audencia Business School, dans sa tribune intitulée : "Les entreprises s’occupent de votre bonheur... pour votre plus grand malheur ?".
Ouf ! La culture contestataire française est sauvée : le bonheur, oui, mais si je veux et surtout pas sur injonction de mon Patron…